[Chronique de lecture] La princesse noire, Serge Brussolo

Serge Brussolo est un conteur qui sait savamment faire revivre pour le lecteur les temps passés en leur donnant toute la saveur et la surprise d’une première fois. Avec La Princesse Noire, il nous emmène à la rencontre du peuple viking, post-christianisation, à une époque charnière où les anciens mythes côtoient la nouvelle religion. Inga, jeune orfèvre, incarne cette dualité, son père, ancien pillard des mers lui a enseigné ses croyances en Odin, Thor etc… sa mère convertie au christianisme, la pousse vers une vie citadine confortable, mais Inga est enlevée et vendue comme esclave à une étrange châtelaine sur une île où plus qu’ailleurs encore, on vit dans la superstition et les anciennes traditions du panthéon nordique.

Bien écrit et bien documenté, ce roman nous offre le frisson du récit d’épouvante, l’étonnement d’une bonne intrigue, ramifiée et mystérieuse, et un dépaysement assuré.

Il ne s’agit pas d’images d’Epinal, les terribles guerriers vikings à la base de nombreux récits sont ici abordés d’une autre façon : au crépuscule de leur conquête. Héros ou bourreaux, ils finiront par déposer les armes et rentrer à quai, promettant l’oubli à leurs croyances et à leurs usages guerriers.

Aussi, le temps principal de l’action se passe-t-il à terre, en compagnie de personnages aux motivations tortueuses, cruelles, dans une contrée rude où la loi reste pourtant celle du plus fort. Mais c’est aussi un récit intelligent, sensible, qui fait la part belle à cette force à vivre qu’ont les enfants. L’héroïne, à mi-chemin entre l’enfance et l’âge adulte, incarne, sans ostentation, la tolérance, l’espoir et la raison parmi des êtres marqués et influencés par les drames passés de leur existence.

Un beau récit, une belle aventure à dévorer d’une traite !

[Chronique de lecture] Erzebeth Bathory, la comtesse sanglante, Sophie Dabat

Sophie Dabat est une jeune auteure pétillante et passionnée de littérature fantastique qui signe une novella horrifique éditée aux éditions québécoises Les six brumes. Ce court ouvrage de 70 pages, au mignon format, donne l’impression d’un petit carnet intime. Et c’est bien l’intimité d’une femme très particulière que Sophie Dabat nous conte, avec une plume élégante et bien sentie, habile à faire vivre les émotions de son personnage.

On y entrevoit l’âme noire d’une créature orgueilleuse qui croît de l’enfance à son mariage et au-delà. On y flirte avec des codes médiévaux révolus, les superstitions populaires, l’influence de l’église en une époque et un lieu capable d’engendrer les plus abjectes cruautés.

La seconde partie de l’ouvrage peut paraitre assez elliptique, si on ne connait pas ce personnage historique. Au regard des détails de la première partie, on aurait souhaité en apprendre davantage, on ne nous dit que le meilleur et le pire comme les tranches de vie d’un journal intime…

En conclusion, c’est une lecture bien agréable cependant titillée par des coquilles typo et orthographiques.

[Chronique de lecture ] Au tréfonds du ciel

Cet ouvrage de Science Fiction parait en France en 1999 et reçoit le prix Hugo en 2000. Vernor, coutumier du fait, avait déjà obtenu cette même récompense en 1993 avec un autre roman de SF : Un feu sur l’abîme. Avec Au tréfonds du ciel, Vernor Vinge donne à la littérature imaginaire un chef d’oeuvre en matière de space opera. S’il ne révolutionne pas le genre en déroulant sa trame à travers des galaxies dominées par des descendants terriens se livrant corps et âmes au mercantilisme, s’il est question comme souvent de colonisation planétaire, de domination raciale, si on s’immerge dans un contexte de haute technologie avec le verbiage tributaire de la hard science, on ne peut pourtant pas rester longtemps insensibles aux messages sous-jacents à cette épopée autour d’une étoile mystérieuse : marche-arrêt.

Car Vernor Vinge nous fait grâce d’un style vibrant et malicieux : les données techniques ou astrophysiques les plus complexes nous semblent curieusement abordables après quelques pages sans pour autant nous retirer le dépaysement qu’on attend toujours un peu en lisant un roman de space opera.

Il nous narre la rencontre entre trois peuples, deux espèces (il s’agit même pas des mêmes embranchements ! ) différentes. Et les apparences sont trompeuses, des exploiteurs qui seront exploités, des bourreaux géniaux, des esclaves inconscients de l’être, l’imaginaire de Vernor Vinge agissant comme un miroir, nous renvoyant nos convictions de supériorité anthropomorphique changées en ce qu’elles sont : mensonges et vanité. Nous sommes nous-même les esclaves de nos désirs mercantiles.

Car c’est aussi l’histoire d’une humanité “non humaine” et d’hommes dont l’humanité n’est plus que souvenirs, tant ils ont voyagé vers un seul but et avec une seule loi : celle du marché, de l’offre et de la demande. Des êtres qui n’ont rien d’humains, qui pour beaucoup ont une apparence “monstrueuse” mais qui vivent pourtant dans l’unité à la recherche d’un idéal, tandis que les hommes mille fois plus “civilisés” empêtrés dans une civilisation mercantile errent désenchantés de part l’univers, parcourant des distances fabuleuses sans pour autant voir plus loin que le bout de leur nez.

Une humanité qui a même oublié l’instinct primordial de conservation : donner lieu à une progéniture, tout comme des robots, sans autre ambition que de faire du profit et repousser les limites de leur sphère d’influence commerciale. D’autres hommes incarnent les vices les plus profonds des hommes et agissent avec monstruosité sous couvert du progrès, bien au-delà des questions d’intolérance.

C’est enfin l’histoire d’une impossibilité : l’histoire d’un monde qui se développe et prospère dans les rigueurs d’une étoile moribonde, “à demi vivante”, dans un système qui recèle un défi pour toutes les lois de l’astrophysique connues. Mais le défi n’est-il pas aussi pour l’humanité de l’ouvrage celui-ci : changer à l’envers du cours naturel des choses ? Un message dont le lecteur saura jugé de la résonance en sa propre pensée…