L’oeuvre d’une vie

Un auteur est-il capable de créer plus de un ou deux cycles vraiment très réussis ou commet-on une seule grande œuvre dans sa vie ?

Je me suis posée cette question en relevant sur de nombreux forums de lecture des avis plutôt mitigés sur les derniers cycles de Fantasy, Les cités des Anciens, Le soldat chamane, d’une auteure que j’apprécie particulièrement, Robin Hobb. Ces précédents, L’assassin royal, Les aventuriers de la mer, sont quant à eux présentés comme des chef d’œuvre, des ouvrages ayant renouvelé le genre.

A bien y songer, quel auteur reconnu aura été capable de nous offrir plusieurs opus-univers de qualité supérieure, sans « recycler » un minimum ses précédents univers ?

Si je pense à Zélazny, je ne pense qu’aux princes d’Ambre, Tolkien et son seigneur des anneaux, Asimov et ses robots, Herbert et Dune. Orson Scott Card ferait l’exception avec Ender d’une part et Alvin le faiseur de l’autre, mais les univers de ces deux cycles sont si différents qu’il parait étrange de les comparer sur un même plan. De même que Vance qui tape dans plusieurs registres avec Cugel, la fantasy comique,  Lyonesse l’héroic-fantasy, le planet opera avec Tshaï, les Baladins, Cadwal, le polar SF : les princes démons, le space opera, Alastor… Mais moi-même je les trouve d’une qualité très disparate.

Cela tient-il aux littératures imaginaires en général ? Si on s’intéresse aux personnages récurrents que l’on trouve par exemple dans les polars (commissaire, privé, légiste…) , on continue de noter qu’il existe fort peu de multipaternité. Un, Deux, trois héros par auteur se partagent le haut de l’affiche.

Alors, bien sûr, tout est question de goût, des lecteurs trouveront sans doute des tas d’exemples d’oeuvres cycliques tout aussi intéressantes chez le même auteur.

Ma question n’en a pas moins de sens lorsque l’on s’intéresse aux processus d’écriture puis d’édition. Cela viendrait-il alors de l’architecture ramifiée, aux situations détaillées, universalistes de ce que l’on appelle les cycles ? Parce que les véritables cycles se caractérisent par la construction non pas d’une intrigue et d’un contexte assorti, mais de tout un univers (un monde) dans lequel s’inscrira l’intrigue et les multiples intrigues secondaires. L’échelle spatiale est grande, l’échelle temporelle, de même, surtout pour des histoires qui couvrent des générations de personnages.

Même les auteurs les plus prolixes n’ont peut-être pas une durée de vie suffisante pour créer et écrire une multitude d’histoire originales et prenantes… Et nombre d’entre eux resteront inconnus, et sans la récompense d’une première publication, les germes d’un autre cycle dément finiront par sécher au fond d’un tiroir.

J’imagine que les auteurs, que cette question tourmente autant que la peur de la page blanche, trouvent moyen d’insuffler le maximum de vie à chacune de leurs œuvres et qu’ils embrassent cette idée romantique et morbide à la fois qu’il leur faut exceller, car l’histoire sera peut-être la dernière qu’ils auront à narrer.

 

 

 

3 réflexions sur « L’oeuvre d’une vie »

  1. Merci de vos interventions Reb et Louisia. Il me semble effectivement qu’outre l’aspect commercial, l’hypothèse du message qui revient dans chaque texte, comme une rengaine, est très parlante.
    Si ce sont des valeurs fortes que l’auteur essaye de distiller dans ses textes, ça parait normal qu’elles ne subissent pas d’énormes évolutions au cours de sa vie… Exception faite pour les politiques qui savent comme personne changer radicalement de vue, mais eux ont des nègres pour les aider à écrire. tong
    J’imagine bien, comme toi, Louisia, qu’il faut, aux auteurs, trouver moyen d’abandonner leur progéniture définitivement pour repartir avec du neuf, ne pas tomber dans la nostalgie.

  2. Souvent c’est le cas : on a tous un seul et unique message à faire passer. Qui peut prendre plusieurs formes différentes. Après bien sûr, ça se décline… Mais suffit de prendre Werber : absolument tous ses livres (et Dieu sait qu’il est inutilement prolifique pour cette même raison) diffusent toujours les mêmes idées.

  3. Question très intéressante.
    Pour ma part, j’ai plusieurs idées sur ce sujet :

    Lorsqu’un cycle remporte un franc succès, les maisons d’édition veulent faire plus d’argent (exploiter le filon) et demande donc à l’auteur de continuer dans le même univers. Et le piège est là. Robin Hobb, que j’aime beaucoup, aurait dû se limiter à son Assassin Royal et à ses Aventuriers de la mer. Désormais, elle exploite (soit par choix, soit « contrainte » par son éditeur) le monde qu’elle a créée. Et pour moi, ce ne peut être que moins bon que l’initial qui était issu d’une réelle motivation. Il est aussi possible que ce soit les auteurs eux-mêmes qui veulent exploiter le filon car ils n’arrivent pas à abandonner leur univers et donc tombent dans le piège.

    Tu parles de Zelazny : c’est le même problème que Robin Hobb. Il a fait les princes d’ambre : excellent. Il n’a pas su dire stop et il a fait les fils des princes d’ambre : moins bon (d’ailleurs ce que l’on aime en plus, c’est l’univers de départ et le concept, pas forcément la suite de l’histoire).

    Tu donnes aussi comme exemple Orson Scott Card et tu soulignes bien le fait qu’il ait fait deux univers différents (Ender et Alvin). C’est là que se situe la réponse à ta question.

    En conclusion, je pense que l’on peut faire plusieurs oeuvres majeures dans sa vie mais pour cela, il faut savoir abandonner ses univers, ses mondes, ses personnages que l’on a construit et auxquels on tient tant. Il faut recréer de toutes pièces une autre histoire / cycle.
    Je me demande si JK Rowling pourrait écrire autre chose que du Harry Potter … Affaire à suivre.

    P.S : ton article m’a beaucoup inspiré gig

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